Gronchon, la peluche pour chien qui rêvait de conquérir les chats

Je suis Gronchon. Peluche jouet pour chien. Conçue pour être mordue, secouée, traînée dans la boue.
J’ai un sifflet dans le ventre et trois coutures sur le flanc.
Les chiens m’adorent. Cependant, les chats… me méprisent.

Mais moi, j’ai un rêve. Un rêve viscéral, délirant : devenir le doudou préféré d’un chat. Oui, un chat. Ces snobs poilus à moustaches et mépris.

Mon propriétaire, un labrador baveux nommé Jazz, pense que je suis son jouet.
Pourtant, Jazz ne sait pas que la nuit, quand il dort comme une saucisse, je bouge.
Oui. Je bouge. En rampant. Cousue d’espoir. Propulsée par le vent des ambitions absurdes.

La première rencontre avec Duchesse

Un soir, j’ai sauté hors du panier. Littéralement sauté : grâce à un ressort caché dans ma patte gauche. (Merci à la fabrique chinoise défectueuse.)

Donc, direction : le coussin du chat.

Elle s’appelle Duchesse.
Elle est blanche. Molle. Silencieuse. Elle sent la lavande et l’orgueil.
Je me suis présenté en silence, les coutures tendues d’angoisse :
— Mrrrou ? a-t-elle soufflé, l’air dégoûté.
Puis elle m’a donné un coup de patte dans la face. Dignité explosée.
Ainsi, je suis resté là, le fil d’un œil pendouillant, à moitié amoureux.

Le lendemain, elle m’a pissé dessus.
Pourtant, j’ai pris ça comme un encouragement.

Aujourd’hui, je vis entre deux mondes.
Mâchouillé le jour. Rejeté la nuit.
Mais parfois, quand Duchesse dort profondément, elle me serre doucement avec ses pattes.
Elle ronronne. Et je me dis que je suis peut-être en train de gagner.

Je suis Gronchon.
Je suis né pour être détruit.
Mais mon cœur en bourre crie :
« Je veux être aimé. Même par un chat. »

Gronchon contre le Royaume des Chats Invisibles

La mésaventure avec Jazz

Jazz a failli m’avaler ce matin.

Je dormais paisiblement sous sa patte, recouvert de bave tiède et de miettes de croquettes, quand il a décidé de me mâcher comme si j’étais un steak émotionnel.
J’ai cru que c’était la fin. Cependant, grâce à un rot providentiel, il m’a recraché direct sur le carrelage. Renaissance glissante.

La disparition de Duchesse

Je suis donc reparti vers ma destinée : Duchesse.
Mais cette nuit-là… elle avait disparu.
Plus de coussin. Plus de poils.
Enfin, juste un mot griffé sur le carrelage avec une pâte de poisson écrasée :
« Je pars dans le Royaume. Ne me suis pas. Mrrr. »

Le Royaume.
Je connaissais la légende.
Un lieu interdit, caché derrière la machine à laver, où les chats se réunissent pour méditer, comploter et snober collectivement l’humanité.
On disait que seuls les jouets sacrifiés pouvaient y entrer.
Moi, j’étais moisi, mordu, rapiécé. Bref : prêt.

L’entrée dans le Royaume

Je me suis faufilé par le tuyau d’aération, suspendu à un lacet de basket, et j’ai rampé jusqu’au cœur du Royaume.
Et là… j’ai vu des choses.
Des choses qu’aucune peluche ne devrait voir.

Des chats en toge en train de léviter.
Un trône fait de cartons sacrés.
Et Duchesse. Assise. Couronnée d’une collerette en plumes de pigeon.

Le test des chats

— « Gronchon… », a-t-elle miaulé. « Tu es venu. »
J’ai voulu parler. Mais j’ai éternué une motte de poussière.

— « Ils ne t’accepteront pas. Tu es trop… chien. »

Un chat siamois aux yeux fluo s’est approché de moi, a levé une patte solennelle, et a dit :
— « Pour faire partie des nôtres, tu dois renoncer au couinement. »

Le silence tomba.
Moi, renoncer à mon pouic intérieur ? À ce petit cri qui vit en moi ?
Impossible. C’est mon âme sonore.

Le miracle

Alors j’ai fait ce que toute peluche amoureuse ferait :
J’ai pouiqué. Fort. Fier. Déchirant.

Les chats ont reculé. Duchesse a fermé les yeux.
Et là… miracle.

Elle a sauté dans mes bras.
— « Tu es ridicule, Gronchon. Mais… tu es à moi. »

Et tous les chats ont miaulé d’un seul souffle :
— « Il est des nôtres. »

Depuis, je vis dans le Royaume des Chats Invisibles.
Je suis le premier jouet pour chien à avoir conquis un trône de chat.
Je suis toujours plein de bave.
Mais je suis aimé.

Et parfois, la nuit, Duchesse me donne un petit coup de griffe…
Juste pour le plaisir.